Retour à la liste des articles
Le développement moteur de l’enfant, ainsi que son développement intellectuel forment les deux assises de son développement psychique. Grâce à de multiples petites expériences, l’enfant avance pas à pas vers une nouvelle compréhension de son monde. Chaque étape représente une nouvelle stabilisation de son développement psychique et dure quelques mois, le temps que son évolution motrice et intellectuelle lui permette d’appréhender un peu mieux la complexité dans son univers. A chaque moment de cet incroyable et rapide développement, sa vision du monde peut se figer et les expériences ultérieures ne plus agir fondamentalement sur ses modes de fonctionnement. C’est un peu comme s’il avait adopté un filtre dont il ne pouvait plus se départir et la suite de son évolution ne fera que confirmer cette structure de personnalité.
Durant les dernières semaines qu’il passe dans le ventre de sa mère, l’enfant commence à percevoir les bruits et la lumière. Il ressent également les émotions de sa mère, en partie par le biais des neurotransmetteurs qu’elle secrète et qui passent par le cordon ombilical. S’il lui était loisible d’avoir une pensée à propos de lui-même, il ne pourrait que se percevoir comme un organe ou une partie d’un tout, assez indifférencié. C’est dans cette perception de lui-même qu’il vient au monde, il ne comprend pas du jour au lendemain qu’il est un petit bébé séparé de sa mère. Au contraire, n’ayant pas conscience des limites de son corps, il commence sa vie sur terre dans cet état d’indifférenciation somato-psychique, c-à-d que pour lui, son corps et son esprit font partie d’un tout avec sa mère et le monde tout autour. Si sa vision du monde se fige là, il restera plongé dans un profond état d’autisme, sans véritable contact avec les autres, avec son environnement, ni même avec son propre corps.
A ce stade très précoce, le bébé a déjà un tempérament de base, qui est en partie issu de sa génétique et en partie des influences qui l’ont déjà marqué in utero. Ce tempérament de base, qui en fait par exemple un bébé vif, nerveux, anxieux ou placide et calme, va se confirmer ou non selon la manière dont sa mère ou ses proches vont y répondre.
Les premières semaines de sa vie lui permettent de faire un type d’expériences répétées et assez passives qui l’amènent de l’état d’inconfort, voire d’angoisse, à l’état de réconfort. La faim génère l’inconfort et les pleurs, et si la réponse est appropriée, la paix revient. L’inconfort est suivi du confort, l’angoisse ne s’installe pas. Cela lui permet de développer un premier socle essentiel dans sa construction, c’est la sécurité de base. L’angoisse s’arrête, c’est profondément rassurant lorsqu’on n’a aucune possibilité d’action sur celle-ci. Il ne sait pas qu’il agit sur quelqu’un, il n’y a donc aucun risque d’en faire un capricieux à ce stade-là.
Au 3ème mois de sa vie, il arrive petit à petit au stade de la coordination oculomotrice. Il fixe du regard et arrive à amener ses mains vers l’objet qu’il voit, ce qui lui permet d’expérimenter plein de choses et d’en déduire des conclusions passionnantes. « Je prends cet objet (le « JE » n’existe pas encore pour lui, mais faisons comme si pour la facilité du texte), je le porte à ma bouche, (c’est pour ça que cette période s’appelle le stade oral), je mâchonne, je ne sens rien… Je prends ces petites menottes, je les porte à ma bouche, je les mordille, tiens je sens quelque chose… Cela m’appartiendrait-il ? Je prends ces 2 petites choses en chaussons roses, je les tire vers ma bouche, en tirant je sens mon corps bouger, tiens… mon corps ? C’est quoi mon corps ? » Bien sûr, nous comprenons qu’il est bien loin de pouvoir tenir ce discours, mais nous ne pouvons pas imaginer la pensée sans les mots, donc on se permettra ce tour de passe-passe qui permet de décrire assez justement les nombreuses petites expérimentations que le bébé fait en attrapant, tirant, mordillant, etc.
A l’âge de 6 mois, il se tient assis, voit donc nettement mieux ce qui l’entoure et ses premières petites dents acérées rendent ses expériences encore plus précises, ce qui lui permet vers 8 mois, d’arriver à sa première découverte existentielle : « Je suis un individu ». JE existe, il est ce corps. Cette révélation est essentielle pour son chemin de différentiation, mais elle est immédiatement accompagnée de sa première grande angoisse existentielle : « Si je suis un individu séparé, je suis donc perdable et abandonnable ! » C’est l’angoisse d’abandon, que nous expérimentons tous et qui nous accompagnera avec plus ou moins de force tout au long de notre vie.
Pour la conjurer, le bébé se met avec frénésie à tester la permanence de l’objet, c’est-à-dire qu’il essaye de comprendre ce qui se passe quand il ne voit pas l’objet, que ce soit son Nounours ou sa Maman. Il jette les objets par terre et rit avec un immense bonheur quand on les lui rend, pour les relancer aussitôt et recommencer infiniment l’expérience jusqu’à ce qu’il soit convaincu que l’objet (et donc aussi sa Maman) continue à exister même s’il ne le voit pas. C’est une déduction très intelligente pour un si jeune enfant et il est donc essentiel de continuer à lui fournir le matériel pour qu’il y arrive, en ramassant patiemment les objets jetés au sol ! Il adore aussi le jeu « Coucou », on cache son visage derrière ses mains, en regardant discrètement au travers de ses doigts on lit son angoisse, et hop, on ouvre ses mains et on fait « Coucou ! », et là l’immense soulagement est évident, on n’avait pas disparu, on était simplement caché ! Jouons à Coucou aussi longtemps qu’il le faudra pour qu’il en soit convaincu, c’est un investissement pour son avenir !
Cette étape est essentielle. C’est la fin de la fusion (enfin, on devrait dire l’illusion de la fusion, puisque nous, adultes, nous savions bien que le bébé était séparé de nous, mais lui ne le comprenait pas) et la nostalgie de cette fusion restera gravée au fond de nous avec son cortège de doux souvenirs que certains essayeront de retrouver indéfiniment dans la recherche d’un amour inconditionnel, dans la sexualité, dans la passion, dans le désir d’être deviné. C’est le début de la différentiation, de l’individuation. C’est ce qu’on appelle parfois le stade du miroir : l’enfant qui se voit dans le miroir sait que c’est lui, il se reconnaît.
Retour à la liste des articles